Après l’adoption d’une législation sur les stablecoins aux États-Unis, Wall Street débat vivement de leur capacité à réellement renforcer la position du dollar et à devenir un important acheteur de bons du Trésor américain à court terme. La plupart des analystes estiment qu’il est encore trop tôt pour affirmer que les stablecoins sont un « game changer ». Cet article est basé sur un texte de Bloomberg, compilé, traduit et rédigé par PANews.
(Contexte préalable : Le FMI met en garde : les stablecoins agissent comme un « cheval de Troie » qui érode la souveraineté monétaire des banques centrales)
(Informations complémentaires : Financial Times : les banques américaines alertent sur les failles du projet de loi sur les stablecoins, craignant une fuite de 6 600 milliards de dollars de dépôts)
L’adoption par les États-Unis d’une législation historique sur les stablecoins suscite un débat intense à Wall Street : ces actifs numériques peuvent-ils réellement renforcer la position du dollar et devenir une source importante de demande pour les bons du Trésor américain à court terme (T-bills) ?
Bien que les avis divergent, les stratégistes de sociétés telles que JPMorgan, Deutsche Bank et Goldman Sachs s’accordent à dire qu’il est prématuré d’affirmer que les stablecoins sont des « game changers », même si le président américain Donald Trump et ses conseillers sont très optimistes quant à leur potentiel en tant que nouveau pilier du système financier américain. Certains perçoivent également des risques.
Steven Zeng, stratégiste marchés américains chez Deutsche Bank, déclare : « Les prévisions de taille du marché des stablecoins sont exagérées. Tout le monde observe, mais personne n’ose prendre de position directionnelle. Beaucoup restent sceptiques. »
Les stablecoins sont des jetons numériques adossés à des monnaies traditionnelles, le plus souvent au dollar, et affichent une volatilité bien inférieure à celle des cryptomonnaies comme le Bitcoin. Sur la blockchain, ils servent d’alternatif au cash, permettant le stockage numérique de fonds comme un compte bancaire, ou des transferts et transactions instantanés.
Depuis l’entrée en vigueur en juillet de cette année de la législation sur les stablecoins, surnommée « Genius Act » (, les acteurs du secteur y voient une avancée décisive qui ouvrirait la voie à une adoption plus large des monnaies numériques libellées en dollars au sein du système financier. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, estimait le mois dernier que cette loi pourrait faire passer la capitalisation du marché des stablecoins en dollars de 300 milliards de dollars actuellement à 3 000 milliards d’ici 2030.
Selon la nouvelle loi, les émetteurs de stablecoins doivent garantir à 100 % la couverture des stablecoins en dollars par des bons du Trésor à court terme et d’autres équivalents de trésorerie. Bessent considère que la prochaine « envolée » de la demande portée par les stablecoins permettra au Trésor d’émettre davantage de titres à court terme, réduisant ainsi la dépendance aux obligations à long terme et allégeant la pression sur les coûts d’emprunt liés aux taux longs, notamment pour les crédits immobiliers.
Robert Tipp, directeur de la stratégie d’investissement et responsable mondial des activités obligataires chez PGIM Fixed Income, indique : « Ce qui préoccupe le Trésor, ce sont les coûts d’emprunt. » Les stablecoins « peuvent jouer un rôle à cet égard ».
À ce jour, les stablecoins en dollars )principalement l’USDT de Tether et l’USDC de Circle( détiennent environ 125 milliards de dollars de bons du Trésor américain, soit près de 2 % du marché des bons du Trésor à court terme à fin 2023 )selon une étude de la Fed de Kansas City d’août(. Selon la Banque des règlements internationaux, rien qu’en 2023, ces émetteurs ont acquis environ 40 milliards de dollars de bons du Trésor à court terme. Mais cela reste marginal face aux fonds monétaires américains, qui détiennent quelque 3 400 milliards de dollars de dette publique.
Au cours de l’année écoulée, le volume des jetons Tether et Circle a explosé.
La plupart des analystes s’accordent à dire que, dans le cadre réglementaire qui se dessinera progressivement au cours de l’année à venir, le marché des stablecoins va assurément croître, même si les prévisions sont très divergentes. JPMorgan anticipe une expansion du marché jusqu’à 700 milliards de dollars dans les prochaines années, tandis que Citigroup avance une estimation optimiste allant jusqu’à 4 000 milliards.
Teresa Ho, responsable de la stratégie à court terme aux États-Unis chez JPMorgan, déclare : « Nous avons effectivement constaté beaucoup de dynamique positive cette année. Mais quant à la vitesse de croissance, je pense qu’il est peu probable d’atteindre 2 000, 3 000 ou 4 000 milliards de dollars en quelques années seulement. »
L’objectif ultime des partisans du secteur crypto est de faire des stablecoins un moyen de paiement courant, ce qui représenterait un défi direct pour le système bancaire traditionnel. Les petites et moyennes banques redoutent particulièrement une fuite des dépôts entraînant un resserrement du crédit ; les grandes banques, elles, prévoient d’émettre leurs propres stablecoins et de profiter des intérêts sur les réserves.
Pour l’heure, les stablecoins sont encore principalement utilisés pour le trading de cryptomonnaies. Les récentes fortes fluctuations du marché illustrent la rapidité avec laquelle le sentiment sur les actifs numériques peut changer, ce qui pourrait entraîner des sorties de capitaux des stablecoins. Même dans le scénario de croissance le plus optimiste, le soutien réel à la demande de bons du Trésor pourrait être bien inférieur aux attentes.
Effet net nul ?
Les sceptiques soulignent que les flux entrants dans les stablecoins proviennent principalement de quatre sources : les fonds monétaires publics, les dépôts bancaires, le cash et la demande étrangère pour le dollar.
La part des émetteurs de stablecoins parmi les détenteurs d’obligations reste très faible, ils sont toujours des « petits joueurs ».
Au 31 décembre 2024, les encours de bons du Trésor détenus par les émetteurs de stablecoins
Étant donné que la « Genius Act » interdit le versement d’intérêts sur les stablecoins, les investisseurs à la recherche de rendement ont peu de raison de transférer leurs fonds depuis un compte d’épargne ou un fonds monétaire, ce qui limite leur potentiel de croissance. Et même si les investisseurs transfèrent effectivement leurs fonds depuis des outils du marché monétaire )qui sont actuellement les plus grands acheteurs de bons du Trésor à court terme(, l’effet net pourrait être nul : il s’agirait moins de créer une nouvelle demande que de changer l’identité des détenteurs.
Brad Setser, chercheur principal au Council on Foreign Relations, déclare : « Je reste sceptique. Si la demande en stablecoins explose, certains détenteurs actuels de bons du Trésor quitteront le marché pour se tourner vers d’autres alternatives, comme d’autres titres à court terme. »
Le chef économiste de la Maison Blanche et actuel membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, Stephen Miran, admet que la demande intérieure pour les stablecoins pourrait être limitée, mais il estime que la véritable opportunité se trouve à l’étranger — là où les investisseurs sont prêts à accepter un rendement nul en échange d’une exposition au dollar.
Stephen Miran, membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, estime que les stablecoins en dollars attireront la demande étrangère
Dans un récent discours, Stephen Miran a relié l’impact potentiel des stablecoins à la politique d’assouplissement quantitatif de la Fed et à l’excès mondial d’épargne qui a contribué à faire baisser les taux d’intérêt.
Standard Chartered estime qu’à l’horizon 2028, le transfert de fonds vers les stablecoins pourrait provoquer une fuite de capitaux d’environ 1 000 milliards de dollars des banques des pays en développement. Une telle situation inciterait presque à coup sûr les régulateurs de ces pays à limiter l’adoption des stablecoins. La Banque centrale européenne, entre autres, développe d’ailleurs sa propre monnaie numérique pour contrer la concurrence des stablecoins privés libellés en dollars.
Bill Zu et William Marshall, analystes chez Goldman Sachs, écrivent : « Si les contrôles de capitaux limitent l’accès au dollar traditionnel, ils pourraient aussi s’appliquer aux stablecoins en dollars. »
Facteur Fed
Un autre facteur susceptible d’atténuer l’impact des stablecoins sur la demande de bons du Trésor est la Réserve fédérale elle-même. Michael Cloherty, stratégiste chez CIBC, note que si les stablecoins « isolent » des dollars en circulation )ce qui représente un passif au bilan de la Fed(, alors la Fed devra réduire d’autant la taille de son bilan, y compris son portefeuille de bons du Trésor de 4 200 milliards de dollars. Cela signifie que « la majorité » de la demande en bons du Trésor générée par les stablecoins ne ferait que remplacer les positions de la Fed.
Une dépendance excessive à la dette à court terme a également un coût : la prévisibilité du financement public diminue, il faut renouveler la dette plus fréquemment, et les États-Unis sont davantage exposés aux aléas du marché. Et tout changement n’interviendra pas du jour au lendemain.
Steven Zeng, de Deutsche Bank, estime qu’au cours des cinq prochaines années, les stablecoins pourraient croître de 1 500 milliards…
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Les stablecoins sont-ils les sauveurs de la dette et du déficit américains ? Wall Street douchent l’enthousiasme : n’y comptez pas trop.
Après l’adoption d’une législation sur les stablecoins aux États-Unis, Wall Street débat vivement de leur capacité à réellement renforcer la position du dollar et à devenir un important acheteur de bons du Trésor américain à court terme. La plupart des analystes estiment qu’il est encore trop tôt pour affirmer que les stablecoins sont un « game changer ». Cet article est basé sur un texte de Bloomberg, compilé, traduit et rédigé par PANews.
(Contexte préalable : Le FMI met en garde : les stablecoins agissent comme un « cheval de Troie » qui érode la souveraineté monétaire des banques centrales) (Informations complémentaires : Financial Times : les banques américaines alertent sur les failles du projet de loi sur les stablecoins, craignant une fuite de 6 600 milliards de dollars de dépôts)
L’adoption par les États-Unis d’une législation historique sur les stablecoins suscite un débat intense à Wall Street : ces actifs numériques peuvent-ils réellement renforcer la position du dollar et devenir une source importante de demande pour les bons du Trésor américain à court terme (T-bills) ?
Bien que les avis divergent, les stratégistes de sociétés telles que JPMorgan, Deutsche Bank et Goldman Sachs s’accordent à dire qu’il est prématuré d’affirmer que les stablecoins sont des « game changers », même si le président américain Donald Trump et ses conseillers sont très optimistes quant à leur potentiel en tant que nouveau pilier du système financier américain. Certains perçoivent également des risques.
Steven Zeng, stratégiste marchés américains chez Deutsche Bank, déclare : « Les prévisions de taille du marché des stablecoins sont exagérées. Tout le monde observe, mais personne n’ose prendre de position directionnelle. Beaucoup restent sceptiques. »
Les stablecoins sont des jetons numériques adossés à des monnaies traditionnelles, le plus souvent au dollar, et affichent une volatilité bien inférieure à celle des cryptomonnaies comme le Bitcoin. Sur la blockchain, ils servent d’alternatif au cash, permettant le stockage numérique de fonds comme un compte bancaire, ou des transferts et transactions instantanés.
Depuis l’entrée en vigueur en juillet de cette année de la législation sur les stablecoins, surnommée « Genius Act » (, les acteurs du secteur y voient une avancée décisive qui ouvrirait la voie à une adoption plus large des monnaies numériques libellées en dollars au sein du système financier. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, estimait le mois dernier que cette loi pourrait faire passer la capitalisation du marché des stablecoins en dollars de 300 milliards de dollars actuellement à 3 000 milliards d’ici 2030.
Selon la nouvelle loi, les émetteurs de stablecoins doivent garantir à 100 % la couverture des stablecoins en dollars par des bons du Trésor à court terme et d’autres équivalents de trésorerie. Bessent considère que la prochaine « envolée » de la demande portée par les stablecoins permettra au Trésor d’émettre davantage de titres à court terme, réduisant ainsi la dépendance aux obligations à long terme et allégeant la pression sur les coûts d’emprunt liés aux taux longs, notamment pour les crédits immobiliers.
Robert Tipp, directeur de la stratégie d’investissement et responsable mondial des activités obligataires chez PGIM Fixed Income, indique : « Ce qui préoccupe le Trésor, ce sont les coûts d’emprunt. » Les stablecoins « peuvent jouer un rôle à cet égard ».
À ce jour, les stablecoins en dollars )principalement l’USDT de Tether et l’USDC de Circle( détiennent environ 125 milliards de dollars de bons du Trésor américain, soit près de 2 % du marché des bons du Trésor à court terme à fin 2023 )selon une étude de la Fed de Kansas City d’août(. Selon la Banque des règlements internationaux, rien qu’en 2023, ces émetteurs ont acquis environ 40 milliards de dollars de bons du Trésor à court terme. Mais cela reste marginal face aux fonds monétaires américains, qui détiennent quelque 3 400 milliards de dollars de dette publique.
Au cours de l’année écoulée, le volume des jetons Tether et Circle a explosé.
La plupart des analystes s’accordent à dire que, dans le cadre réglementaire qui se dessinera progressivement au cours de l’année à venir, le marché des stablecoins va assurément croître, même si les prévisions sont très divergentes. JPMorgan anticipe une expansion du marché jusqu’à 700 milliards de dollars dans les prochaines années, tandis que Citigroup avance une estimation optimiste allant jusqu’à 4 000 milliards.
Teresa Ho, responsable de la stratégie à court terme aux États-Unis chez JPMorgan, déclare : « Nous avons effectivement constaté beaucoup de dynamique positive cette année. Mais quant à la vitesse de croissance, je pense qu’il est peu probable d’atteindre 2 000, 3 000 ou 4 000 milliards de dollars en quelques années seulement. »
L’objectif ultime des partisans du secteur crypto est de faire des stablecoins un moyen de paiement courant, ce qui représenterait un défi direct pour le système bancaire traditionnel. Les petites et moyennes banques redoutent particulièrement une fuite des dépôts entraînant un resserrement du crédit ; les grandes banques, elles, prévoient d’émettre leurs propres stablecoins et de profiter des intérêts sur les réserves.
Pour l’heure, les stablecoins sont encore principalement utilisés pour le trading de cryptomonnaies. Les récentes fortes fluctuations du marché illustrent la rapidité avec laquelle le sentiment sur les actifs numériques peut changer, ce qui pourrait entraîner des sorties de capitaux des stablecoins. Même dans le scénario de croissance le plus optimiste, le soutien réel à la demande de bons du Trésor pourrait être bien inférieur aux attentes.
Effet net nul ?
Les sceptiques soulignent que les flux entrants dans les stablecoins proviennent principalement de quatre sources : les fonds monétaires publics, les dépôts bancaires, le cash et la demande étrangère pour le dollar.
La part des émetteurs de stablecoins parmi les détenteurs d’obligations reste très faible, ils sont toujours des « petits joueurs ».
Au 31 décembre 2024, les encours de bons du Trésor détenus par les émetteurs de stablecoins
Étant donné que la « Genius Act » interdit le versement d’intérêts sur les stablecoins, les investisseurs à la recherche de rendement ont peu de raison de transférer leurs fonds depuis un compte d’épargne ou un fonds monétaire, ce qui limite leur potentiel de croissance. Et même si les investisseurs transfèrent effectivement leurs fonds depuis des outils du marché monétaire )qui sont actuellement les plus grands acheteurs de bons du Trésor à court terme(, l’effet net pourrait être nul : il s’agirait moins de créer une nouvelle demande que de changer l’identité des détenteurs.
Brad Setser, chercheur principal au Council on Foreign Relations, déclare : « Je reste sceptique. Si la demande en stablecoins explose, certains détenteurs actuels de bons du Trésor quitteront le marché pour se tourner vers d’autres alternatives, comme d’autres titres à court terme. »
Le chef économiste de la Maison Blanche et actuel membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, Stephen Miran, admet que la demande intérieure pour les stablecoins pourrait être limitée, mais il estime que la véritable opportunité se trouve à l’étranger — là où les investisseurs sont prêts à accepter un rendement nul en échange d’une exposition au dollar.
Stephen Miran, membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, estime que les stablecoins en dollars attireront la demande étrangère
Dans un récent discours, Stephen Miran a relié l’impact potentiel des stablecoins à la politique d’assouplissement quantitatif de la Fed et à l’excès mondial d’épargne qui a contribué à faire baisser les taux d’intérêt.
Standard Chartered estime qu’à l’horizon 2028, le transfert de fonds vers les stablecoins pourrait provoquer une fuite de capitaux d’environ 1 000 milliards de dollars des banques des pays en développement. Une telle situation inciterait presque à coup sûr les régulateurs de ces pays à limiter l’adoption des stablecoins. La Banque centrale européenne, entre autres, développe d’ailleurs sa propre monnaie numérique pour contrer la concurrence des stablecoins privés libellés en dollars.
Bill Zu et William Marshall, analystes chez Goldman Sachs, écrivent : « Si les contrôles de capitaux limitent l’accès au dollar traditionnel, ils pourraient aussi s’appliquer aux stablecoins en dollars. »
Facteur Fed
Un autre facteur susceptible d’atténuer l’impact des stablecoins sur la demande de bons du Trésor est la Réserve fédérale elle-même. Michael Cloherty, stratégiste chez CIBC, note que si les stablecoins « isolent » des dollars en circulation )ce qui représente un passif au bilan de la Fed(, alors la Fed devra réduire d’autant la taille de son bilan, y compris son portefeuille de bons du Trésor de 4 200 milliards de dollars. Cela signifie que « la majorité » de la demande en bons du Trésor générée par les stablecoins ne ferait que remplacer les positions de la Fed.
Une dépendance excessive à la dette à court terme a également un coût : la prévisibilité du financement public diminue, il faut renouveler la dette plus fréquemment, et les États-Unis sont davantage exposés aux aléas du marché. Et tout changement n’interviendra pas du jour au lendemain.
Steven Zeng, de Deutsche Bank, estime qu’au cours des cinq prochaines années, les stablecoins pourraient croître de 1 500 milliards…